3 mars, 2014

A propos de l’Ukraine

Je suis ennuyé. 
Je me demande si une fois de plus , on ne serait pas en train de m’emmener en bateau.

Certes, j’ai une grande sympathie pour tous ces braves gens qui manifestent à Kiev contre un régime odieux, qui les exploite, s’en met plein les poches, tout en ne recherchant en rien ce que j’appelle « le bien commun ».
Ces manifestants sont en général Chrétiens, voir Catholiques (de rite Uniaque) pères ou mères  de famille, bons patriotes, et tout ce qu’ils veulent, c’est être entendus.
Bien entendu, toutes les sirènes de la nomenclature bien pensante se sont mises à mugir comme si nous étions un premier mercredi du mois à midi, et je me sens un peu abasourdi.
Et bien sur la sirène BHL, installée sur le toit du café de Flore fait plus de bruit que toutes les autres réunies. 
Or je suis un vieuxfinancier.                                                                                             Dans ma carrière, j’ai remarqué qu’un certain nombre d’individus-précieux avaient une capacité  remarquable à toujours se tromper.

Il suffit en général de faire l’inverse de ce qu’ils recommandent ou font pour avoir raison. 
Par exemple, monsieur Giscard , quand il était responsable de l’économie Française, freinait quand il fallait accélérer, accélérait quand il fallait freiner, inventait le SME ou son prédécesseur, a toujours soutenu l’Euro, nous a écrit une constitution Européenne qui est un véritable monstre technocratique que le Peuple a refusé mais qui lui a été imposée quand même….
De même, monsieur Delors n’en a pas raté une, passant la main à monsieur Trichet qui a fini le travail si bien commencé par monsieur Delors.

L’économie Française est par terre, grâce à eux.
Donc, quand je vois BHL, le Nouvel Obs, le Monde hurler de concert, j’ai tendance à  me dire qu’il y a un loup et qu’il faut me méfier. « On » est en train d’essayer de me faire prendre des vessies pour des lanternes..

Et ce d ‘autant plus que la composition sociologique des manifestants de Kiev ressemble furieusement  à celle des gens qui défilaient a Paris il y a peu, sous le nom de la ‘manif pour tous’, et que tous ces braves gens   n’étaient pas particulièrement bien vu par  nos intellectuels surveillant sans relâche le retour de la bête immonde  (cf. les fines allusions à  1934 par exemple).
Comme les  révoltés  de Kiev, nos manifestants Parisiens voulaient plus de Démocratie, moins de corruption, plus de subsidiarité (moins de décisions prises à  Moscou et plus à Kiev, à   remplacer par Bruxelles et Paris), moins de corruption, ce qui ne soulevait curieusement aucun enthousiasme chez nos profonds penseurs..

Car tous mes oints du Seigneur Français, tous mes pétitionnaires professionnels, tous mes Malraux au petit pied n’ont jamais caché le mépris incommensurable qu’ils avaient pour les manifestants en France, qui dans le fonds ne faisaient que réclamer ce que demandent aujourd’hui les Ukrainiens. 
Pourquoi soutenir Kiev et pas Paris?  Mystère. 
Deux poids, deux mesures donc…

Ce qui m’amène à me poser un certain nombre de questions.
 L’Europe va mal, très mal.
Or cette Europe a été voulue et créée de toutes pièces par ceux la même qui hurlent le plus fort aujourd’hui pour « soutenir » les Ukrainiens. 
 Ce sont ces mêmes gens en effet qui depuis des mois soufflent sur la braise à Kiev, en assurant les manifestants dans la rue qu’ils sauraient les soutenir le moment venu.

Le problème est qu’ils n’ont ni les moyens militaires, ni les moyens financiers d’aider en quoi que ce soit, qu’ils le savent parfaitement, de même qu’ils savent  aussi que les Etats Unis n’ont aucune intention de faire quoique ce soit. Monsieur Obama, qui n’est pas un foudre de guerre et qui ne fait peur à personne n’a pas été en Syrie,  ce n’est pas pour aller en Ukraine… Et que l’on vienne pas me parler du caractère sacro saint des frontières. Dans l’histoire du Kosovo, on a parfaitement transmis la souveraineté du Kosovo aux Albanais, majoritaires, comme très probablement on transmettra la Crimée à la Russie, au nom du Droit des Peuples à disposer d’eux mêmes, puisque les Russes y sont majoritaires.

Donc nos élites Européennes ont soutenu les manifestants à Kiev en sachant  pertinemment  qu’ils ne feraient RIEN et que les Etats Unis ne feraient  RIEN.Ce que savait parfaitement monsieur Poutine depuis les troubles en Géorgie. Soutenir les manifestants, c’était  donc en fait faire le jeu de monsieur Poutine.

Voila qui me rappelle fâcheusement Budapest en 1956 ou Prague en 1968 où les mêmes élites  ont envoyé de braves gens à la mort sans sourciller. On incite les gens à la révolte, et puis on se retire à  toute allure, la queue basse mais le verbe haut. On se souvient de la phrase immortelle de Michel Jobert, alors ministre des Affaires Étrangères,  après l’entrée des chars Russes à Prague’ et je cite : » Bien entendu, nous ne ferons rien' ».

Défier la Russie, mettre en jeu ses intérêts vitaux peut parfaitement se justifier si l’on est Jean Paul II ou Reagan et si l’on a préparé son coup longtemps à l’avance 
Aller chercher des poux dans la tête de l’ours Russe alors que l’on n’ a pas la moindre intention de  » payer pour voir » me parait le comble de l’amateurisme (hypothèse probable) ou du cynisme (hypothèse non impossible) .
 Dans le premier cas , on se bornera à constater une fois de plus l’invraisemblable incompétence de nos chères élites Européennes.     
Mais outre l’incompétence, Il y a peut être une deuxième explication, quelque peu Machiavélique à ce qui pourrait bien être un désastre.
Lorsque les Colonels Grecs eurent des problèmes, il leur vint à l’idée d’envahir Chypre.
Lorsque les Généraux Argentins connurent le même genre de difficultés, ils décidèrent de conquérir les Malouines.
C’est une loi constante de la Science Politique.
Quand un système non démocratique se heurte à des difficultés économiques, il est d’usage d’envahir le pays d’à  coté pour « recréer l’unité Nationale ». Cela se termine toujours mal.
Le but  de nos brillants penseurs, qui savent fort bien que le système Européen n’est plus Démocratique est peut être de créer suffisamment de peur en Europe pour que les citoyens se rassemblent à nouveau sous la bannière bleue étoilée ?

Les Eurocrates ont  peut être pensé que créer de toutes pièces  une grave crise aux frontières de l ‘Europe serait une bonne façon de ramener les brebis égarées au bercail.
C’est  peut être  un coup de billard à trois bandes?
Si l’on réussit à  faire envahir l’Ukraine par la Russie, alors on pourra entonner le grand air de « l’Europe nous protège de la guerre » et cela ferait bien l’affaire des partis de gouvernement un peu partout…

Je ne suis pas un grand partisan de la théorie du complot, le degré zéro de la Science Politique comme le disait Revel.

Mais toute ma vie, je me suis opposé à  cette « caste » ou à  cette « classe au sens Marxiste du terme » et je sais par expérience qu’elle ne recule devant rien. De leur part, rien ne me surprendrait.En tout état de cause, il faut choisir: ou bien, nos élites Européennes sont irrémédiablement incompétentes, ou bien elles cherchent à nous manipuler et bien sur,  l’un n’exclut pas l’autre.Mais je tiens a dire que si j’étais à Kiev, je serai dans la rue, comme je l’ai été à Paris, et pour les mêmes raisons : défendre la Liberté Individuelle contre ses ennemis.

 

Auteur: Charles Gave

Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

37 Commentaires

Répondre à Gerldam

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  • m l'r

    6 mars 2014

    merci de tous ces éclairages….une moins mauvaise solution ne serait-elle pas un protectorat de la russie sur la Crimée après consultation et parallèlement un statut de neutralité pour le reste de l’Ukraine:une sorte de Suisse de l’est, avec tous les avantages induits:un genre de coffre-fort paneuropéen : rien ne vaut un accord sonnant et trébuchant pour ne pas se casser la gueule.Tout ceci dit très humblement.

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  • P.M

    5 mars 2014

    Monsieur,
    Je ne suis pas toujours d accord avec vous mais j ai été très heureux de voir votre intervention sur bfm sur l Ukraine ou aussi bien ce pauvre petit que madelin ont montre leurs limites intellectuelles
    Vous avez une analyse très précise et très exacte de ce que cherche a faire Wladimir W Poutine
    Je suis cette fois ci 100% avec vous
    Très cordialement

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  • Duff

    5 mars 2014

    J’ai trouvé le désaccord (première partie) entre Charles Gave et Alain Madelin ce mardi dans les experts au sujet de l’Ukraine terriblement révélateur de l’avancée de la pensée qui confond libre échange et recul « nécessaire »des Nations. Voilà un point de réflexion extrêmement intéressant surtout si on considère (seconde partie) que les efforts indispensables à accomplir pour faire fonctionner l’euro sont irréalistes surtout s’ils doivent transformer des grecs, espagnols, italiens et français en allemands.

    Pour moi les deux temps sont liées, refuser de sortir de l’euro pour de mauvaises raisons est aussi nocif que de s’accrocher aussi péniblement à l’idée qu’il faut continuer alors même que la France est sous la férule d’idéologues prêts à sacrifier les épargnants français pour réaliser leur idéal socialiste et que dans ce contexte, il est naturel que les allemands n’aient plus spécialement envie d’engager leur signature pour plus d’intégration…

    Superbe émission sinon. Merci.

    Cdlt

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  • Jean-Claude Gruffat

    4 mars 2014

    Monsieur Poutine,
    Vous avez clairement une bonne comprehension de ce pays qu’il ne faut sans doute pas juger a l’aune de nos analyses occidentales.
    Ce n’est pas satisfaisant pour autant, un capitalisme d’Etat associe a des ploutocrates ne constitue pas un systeme viable dans la duree.
    Pas plus qu’une economie assise sur la rente d’exportations de ressources naturelles, petrolieres, gazieres et minieres..
    J’ai visite a Moscou a l’occasion d’un passage le musee de l’armee sovietique que vous connaissez surement, j’ai ete frappe de l’interet qu’il suscite aupres de la jeune generation qui n’a que peu ou pas connu l’URSS.
    Nostalgie d’un monde duopolitistique, mais que se passe -t-il lorsque l’ideologie a disparu?

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  • reporting

    4 mars 2014

    Je ne crois pas que nos élites soient incompétentes ; elles savent ce qu’elles font c’est à dire trahir le peuple, s’en mettre plein les poches et obéir aux intérêts de la nomenklatura US. Hélas il existe une majorité pour porter systématiquement ces gens au pouvoir. Le problème est donc plus le peuple consentent que nos dirigeants qui doivent bien rigoler. Et où l’on voit les limites de la démocratie élective. Vivement la fin de cette république répugnante et la mise en place d’un nouveau régime ; ça ne pourra pas être pire.

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    • vivelafrance

      4 mars 2014

      C’est claire. On le voit lorsqu’il faut semblant d’être scandalisé par telle ou telle propos tenu par la partie adversaire lors d’un débat tv.
      C’est comme un jeu. Ils jouent souvent à qui criera le plus fort ou plutôt qui sera le meilleur orateur le plus charismatique car ils savent très bien que le peuple attache moins d’importance aux idées qu’au charisme et aux promesses du bonheur pour tous dans l’instantané.
      Sauf qu’en période de grave crise, ils sont quand même poussés à remettre de l’ordre dans le budget de l’état et ont moins de temps à consacrer à leur petites querelles qu’ils adhèrent entretenir.

  • Jean-Claude Gruffat

    4 mars 2014

    Je ne vois pas de similarite entre les manifestants largement religieux et pas uniquement chretiens contre la mariage pour tous en France, et le soulevement disparate contre la corruption et les brutalites policieres en Ukraine.
    Les frontieres de l’Ukraine n’est le sujet, voir la conference de presse de Poutine ce matin a Moscou.
    Nous parlons de la zone d’influence aux frontieres de la Federation de Russie.
    Mais je ne suis pas un expert

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  • Poutine7

    4 mars 2014

    Sauvegarder l’unité de l’Ukraine
    3 mars 2014
    Par Jacques Sapir

    Depuis samedi 1er mars, les événements s’accélèrent en Ukraine. Le premier point important est le soulèvement des populations russes, russophones et minoritaires dans la partie Est du pays. Le nombre de mairie où le drapeau russe a été installé est ici significatif. Dans certains cas, à Donetsk et à Kharkov, on a assisté à des manifestations de très grandes ampleurs qui, si elles n’ont pas été ignorées par les journalistes occidentaux, n’ont pas eu droit à la même couverture médiatique que les manifestations de Kiev de ces dernières semaines. On supposera que c’est par manque de place et en raison des pénuries de papier qui sévissent dans notre beau pays que les journalistes se sont donc censurés sur ce sujet…

    I. Ces manifestations tant populaires que politiques, en particulier avec le drapeau russe, dessinent la carte d’une partition possible, mais qu’il est encore dans le pouvoir des acteurs de chaque camp d’éviter. On a représenté sur cette carte la ligne de démarcation entre la zone dite « pro-russe » et la zone « pro-ukrainienne ».

    Ces manifestations, et ces installations de drapeaux russes, alors que jusqu’à maintenant (lundi soir) l’armée russe n’est présente qu’en Crimée montrent que ce ne sont pas seulement les russophones au sens strict qui ont ainsi manifesté leur défiance par rapport au pouvoir de fait en place à Kiev. Il est hautement instructif de regarder une carte du découpage linguistique de l’Ukraine qui a été établie par l’Université de Kiev.

    Cette carte montre que, outre la présence du Russe et l’Ukrainien (ce dernier n’existant à l’état « pur » que dans la partie la plus occidentale du pays) on est en présence de nombreuses autres langues ou dialectes. C’est le cas du « Surzhik », dialecte de Russe et d’Ukrainien mais aussi du « Trasianka », dailecte de Russe et de Bielorusse. Cette diversité de l’Ukraine, qui recoupe une diversité ethnique, est le produit de l’Histoire. L’Ukraine actuelle n’est pas l’Ukraine soviétique des années 1920 et 1930. Il lui a été rattaché des territoires polonais, hongrois, roumains et slovaques en 1939 et 1940, mais aussi la Crimée, « donnée » dans le cadre de l’Union soviétique par la Russie. Par ailleurs, la frange côtière du pays (autour d’Odessa) a toujours eu une nature plus « levantine » qu’ukrainienne avec des minorités grecques et juives importantes. Cette hétérogénéité se reflète dans la pratique, héritée des temps soviétiques, de distinguer la citoyenneté et la nationalité. Il était ainsi possible de se revendiquer Russe, Grec, Bulgare ou Ruthène et de s’affirmer citoyen ukrainien.

    II. Cela impliquait néanmoins un pacte fondateur pour l’Ukraine indépendante en 1991, celui du respect des diverses minorités, dans leurs droits culturels et religieux, mais aussi l’affirmation de la double pratique des deux langues majoritaires, le Russe et l’Ukrainien, comme langue ayant un statut légal dans le pays. Pour avoir travaillé à Kiev de 1999 à 2001, je puis témoigner que rare sont les personnes ne parlant « que » l’Ukrainien, et que l’on pouvait parfaitement se dire un ferme partisan de la souveraineté de l’Ukraine et parler de manière préférentiel le Russe. C’est ce pacte qui a été érodé de 2004 à nos jours avant que d’être brutalement rompu. Avant les événements qui ont commencé au mois de novembre 2013 on ne comptait plus que 6 écoles-lycées enseignant en Russe à Kiev, alors que ces écoles se comptaient encore par centaines en 2000, et que la population russophone se compte sur Kiev en centaines de milliers. La suppression de la loi garantissant le statut du russe comme langue officielle, suppression prise ces dernières semaines, a été, pour une large part de la population, la preuve ultime que le pouvoir issu de la place Maïdan était tombé aux mains des ultra-nationalistes. Le président du Parlement ukrainien qui exerce les pouvoirs de faits du Président a décidé ce lundi 3 mars de mettre son veto à cette loi. Il a eu entièrement raison, mais c’est probablement trop tard ; le mal est fait. C’est ce qui explique la rupture du pacte fondamental sur lequel était basée l’Ukraine. Il nous reste à voir s’il peut être réparé.

    III. On doit prendre conscience en France de qui sont réellement les militants de « Pravogo Sektora » et du parti « Svoboda », deux organisations minoritaires mais extrêmement actives dans le mouvement de Maïdan, et qui ont pris la direction de ce mouvement au début de février. Les dirigeant de « Svoboda » dénoncent ce qu’ils appellent la « mafia judéo-russe » autour du Président Ianoukovitch et n’hésitent pas à représenter Vladimir Poutine avec une étoile de David sur le front. Les militants, ainsi que ceux du « Pravogo Sektora » ont repris à leur compte le slogan classique de l’antisémitisme en Russie, ladaptant pour les besoins de la cause « Bat les juifs et sauve l’Ukraine ».

    Or, ce sont avec des dirigeants de ce parti, notoirement fasciste et antisémite, que les dirigeants européens, dont Mme ASHTON, responsable de la diplomatie de l’Union Européenne, ont choisi de s’afficher à Kiev. Honte à eux. Mais honte à nous aussi si nous acceptons que de telles personnes nous représentent. Il faut rappeler que « Svoboda » a fourni plusieurs ministres au gouvernement de fait en place à Kiev et que le Procureur Général d’Ukraine en est membre.

    IV. Quelle pourrait donc être la voie d’une sortie de crise qui respecterait la souveraineté de l’Ukraine ? Pour cela, il importe avant toute chose de voir s’il est possible de reconstruire le « vivre ensemble » qui fait Nation. Cela passe par trois conditions. La première est, à l’évidence désormais, une fédéralisation de l’Ukraine et des garanties importantes quant aux droits des minorités, que ces droits soient culturels ou religieux. Cette fédéralisation devra accepter le fait que la Crimée, qui est déjà une République Autonome, jouisse d’un statut particulier. La deuxième condition est la mise au ban politique des extrémistes de « Pravogo Sektora » et de « Svoboda », leur désarmement et leur interdiction. Dans aucun pays de l’Union européenne, dans aucun pays civilisé, il n’est acceptable d’avoir des partis dont le discours et l’idéologie sont les mêmes que les Nazis. Ceci est aussi important afin de libérer l’opposition démocratique de la pression et des menaces que font peser ces extrémistes sur ses dirigeants. La troisième condition est une déclaration de neutralité de l’Ukraine pour une période de vingt ans, déclaration qui vise à rassurer la Russie quant à une possible intégration de l’Ukraine tant dans l’Otan que dans l’UE. Cette déclaration de neutralité pourrait être levée si tant la Russie que les pays de l’UE tombaient d’accord. Sur ces bases, il devient possible d’envisager des élections tant générales de Présidentielles, sous un double contrôle de l’UE et de la Russie. Ces élections permettront de faire émerger un nouveau pouvoir à la fois légitime et légal. Mais, faire émerger un pouvoir légitime et légal n’aura de sens que si on assure la stabilité de l’économie ukrainienne. Or, compte tenu de la crise que l’UE traverse, compte tenu des spécialisations économiques de l’Ukraine, cette stabilité ne peut provenir que d’une intégration économique avec la Russie. Cette intégration devrait être aussi pensée entre régions d’Ukraine et de Russie, car les complémentarités sont très importantes. C’est une réalité qu’il faut admettre ou se préparer à des vagues d’immigration à hauteur d’un pays de 46 millions d’habitants.

    À ces conditions, une Ukraine souveraine et indépendante est encore possible. Mais, plus on s’enfoncera dans une logique d’affrontement insensée entre l’UE et la Russie et moins cette perspective restera possible. Car, la logique de l’affrontement aboutit inéluctablement à la partition du pays.

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    • El oso

      5 mars 2014

      Très intéressant cet article de Jacques Sapir.
      Voilà quelqu’un qui sait de quoi il parle…Et qui propose des solutions sensées.

  • stefano

    4 mars 2014

    M. Gave,

    Comme d’habitude, vous avez mis le doigt où çà fait mal.
    L’Europe est un échec total, monstre bureaucratique, monnaie absurde, économie en berne, chômage de masse. On en verra les conséquences aux européennes, car les électeurs sont de plus en plus lucides.
    Pour les eurocrates, pouvoir faire croire et proclamer que des gens sur des barricades « meurent pour l’Europe » quelle joie!
    Un article comme celui là permet de dégonfler la baudruche.

    Répondre
  • Arsene Holmes

    3 mars 2014

    Cher Mr Gave,

    Excellent article comme d’habitude.

    Je me permets d’utiliser cette section pour avoir votre opinion sur un article que j’ai lu ce matin accusant JM Keynes d’etre a l’origine de tous les maux économiques actuels. Et je pense par répercussion, des maux politiques qui peuvent en fin de compte déboucher sur une crise comme celle de l’Ukraine

    http://www.economicnoise.com/2014/02/28/true-economic-villain/

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  • poissonrouge

    3 mars 2014

    Rendre à César et non pas à Michel Jobert … : C’est Claude Cheysson, ministre des affaires étrangères de F. Mitterrand, qui après le coup de force du général Jaruzelski à Varsovie en 1981 a dit  » Bien entendu, nous n’allons rien faire … » Il serait, d’ailleurs, intéressant de comparer les relations Russie/Pologne et Russie/ Ukraine

    Répondre
  • Robert Marchenoir

    3 mars 2014

    Ce qui est consternant à voir dans cette affaire, c’est la façon dont une partie de l’extrême-droite française soutient l’agression russe. En particulier le Front national, dont Aymeric Chauprade est une nouvelle recrue de choix. Chauprade, qui est allé à la Douma faire allégeance à Poutine et diffamer l’Occident, au nom de l’opposition de la Russie au mariage homosexuel.

    Voilà donc des gens qui passent leur temps à défendre l’identité nationale et à fustiger l’impérialisme (sous-entendu américain et bruxellois), mais qui approuvent l’invasion militaire d’un pays indépendant par la superpuissance voisine.

    Je suppose que la satisfaction mesquine de voir humilier les Etats-Unis et l’Europe vaut bien qu’ils s’essuient les pieds sur l’identité nationale ukrainienne. Après tout, leurs rodomontades se font à une distance prudente.

    Mais quel bénéfice concret attendent-ils de leur soutien à Poutine ? S’imaginent-ils que les chars russes vont débarquer place de la Concorde pour obliger François Hollande à renoncer au mariage homosexuel ?

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    • ph11

      4 mars 2014

      Et voir la valkyrie bleu marine dénoncer les fascistes ukrainiens, c’est assez cocasse aussi.

    • anonyme

      5 mars 2014

      Pour M. Chauprade et cie, la question du respect des principes de la souveraineté nationale ne peut passer que par un démantèlement de l’Alliance Atlantique, obstacle principal à la réalisation de leur thèse d’un monde multipolaire.

  • Medocain

    3 mars 2014

    Enfin un papier intelligent sur l’affaire ukrainienne et sur la Crimée,

    qui n’a JAMAIS été ukrainienne sauf de 1954 à 2014 , suite à la décision de Khrouchtchev de rattacher la Crimée à l’Ukraine

    tous ces comiques vont-ils à nouveau envoyer des troupes à Sébastopol et Balaclava , une brigade légère ne sera pas suffisante à mon avis, ni à Malakoff

    pour retrouver la France isolée comme toujours…

    à moins que ces gens là pensent faire mieux (sic) que la Wehrmacht

    Répondre
  • Poutine7

    3 mars 2014

    Une affaire réglée d’ici la semaine prochaine.

    En se positionnant intelligemment sur un tracker Russie, il y a du blé (ukrainien ou russe comme vous voudrez) à se faire

    Le président russe Vladimir Poutine a accepté de charger un groupe d’experts internationaux d’examiner la situation dans la république ukrainienne autonome de Crimée, initiative avancée par la chancelière allemande Angela Merkel, rapporte la radio Deutsche Welle.

    A l’issue d’une conversation téléphonique avec Mme Merkel, le président Poutine a en outre accepté de créer sans délai un groupe de contact, probablement sous l’égide de l’OSCE, pour entamer un dialogue politique, précise la source se référant à l’administration de la chancelière.

    Le site internet du Kremlin indique que Mme Merkel et M.Poutine ont convenu de « poursuivre les consultations » bilatérales et plurilatérales visant à normaliser la situation politique et sociale en Ukraine.

    Face à l’inquiétude exprimée par Mme Merkel concernant l’évolution de la situation en Ukraine, le président Poutine « a attiré son attention sur la menace implacable émanant des forces ultranationalistes qui représentent un danger pour la vie et les intérêts nationaux des citoyens russes et des russophones », est-il indiqué dans le communiqué.

    « Il a été souligné que les mesures prises par la Russie sont tout à fait adéquates dans le contexte extraordinaire actuel », a fait savoir l’administration de la présidence russe.

    Moscou étaient complétement inadmissibles et qu’un dialogue direct entre la Russie et l’Ukraine s’imposait », lit-on dans une déclaration du porte-parole de M.Cameron.

    Samedi 22 février, au mépris des ententes entre les chefs de file de l’opposition et le président Viktor Ianoukovitch et sans attendre que ce dernier signe une loi autorisant la réforme constitutionnelle en Ukraine, la Rada suprême a modifié la Constitution, limogé certains ministres et fixé l’élection présidentielle au 25 mai.

    La Crimée, une république ukrainienne autonome peuplée principalement de russophones, a refusé de reconnaître les nouvelles autorités ukrainiennes et a fixé au 25 mai un référendum sur son statut au sein du pays.

    Le 1er mars, le Conseil de la Fédération (Sénat russe) a autorisé le recours à la force en Ukraine « en raison de la situation extraordinaire dans ce pays, de la menace pesant sur la vie des citoyens russes et des effectifs du contingent militaire russe qui sont déployés dans la république autonome ukrainienne de Crimée conformément à un accord bilatéral »

    Répondre
    • Poutine7

      5 mars 2014

      Bon alors, vous les avez pris vos +7.33 % sur le tracker RUS ?

      Faut quand même profiter un peu de temps en temps de l’agitation merdiatique tout de même !

  • Amellal Ibrahim

    3 mars 2014

    Bonjour,

    j’ai lu dans votre livre « Un libéral nommé Jésus » :

    « Le pape, combien de divisions ? »

    Staline

    on pourrait remplacer le Pape par Barroso et Staline par Poutine.

    Et aussi si quelqu’un pouvait m’expliquer pourquoi BHL soutient le manifestants en Ukraine dont certains sont antisémites, les SS recrutaient leurs tortionnaires là-bas comme Demjanjuk ainsi que les islamistes en Syrie et en Libye ?

    http://croah.fr/wp-content/uploads/2014/02/6345528-9570322.jpg

    Répondre
    • Poutine7

      3 mars 2014

      BHL est un abruti caractérisé qui vomit son pays (cf ‘l’idéologie française ») et qui ne peut donc comprendre qu’il existe des patriotes.

      On peut se risquer à un peu de psychanalyse, BHL est un héritier, millionnaire qui veut certainement évacuer de sa mémoire que Papa a fait fortune dans le commerce du bois en Afrique en vendant des espèces rares et qu’il siège tjs au conseil des actionnaires de la boîte

    • Josick Croyal

      3 mars 2014

      « on pourrait remplacer le Pape par Barroso et Staline par Poutine. » ???
      Le Pape ? Il s’agit d’un « empire » spirituel… Barroso lui a ses tanks administratifs et une petite armée !!!

  • Gerldam

    3 mars 2014

    Je suis loin d’être certain qu’on puisse comparer les manifestants de Kiev et ceux de la manif pour tous. Une partie des manifestants était pacifique, mais une autre avait une furieuse gueule de fascistes.
    Je connais assez bien l’Ukraine, pays dirigé depuis 1990 par des oligarques qui s’en sont mis plein les poches sur le dos du peuple. La corruption y est massive à tous les niveaux, tant côté pro-russe que côté pro -Timoshenko (pour faire simple) Les infrastructures sont vieillissantes et dans certains endroits délabrées.
    Pour redresser le pays, il faudra beaucoup de bonne volonté et beaucoup d’argent. A supposer que la bonne volonté existe (ce dont je doute), l’argent sera le nerf de tout rétablissement. L’europe n’en a pas, la Russie et la Chine en ont. Je ne parle pas des USA qui n’y mettront pas un kopek.
    A mon humble avis, l’Ukraine étant une création récente, il vaudrait mieux redessiner (pacifiquement, bien entendu) ses frontières de façon à rendre les choses plus faciles: un état plus agricole à l’ouest, plus tourné vers ses voisins (Roumanie, Hongrie, Slovakie, Pologne) et un autre à l’est, plus industriel, et tourné vers la Russie (mais pas forcément partie de la Russie), dont les infrastructures seraient remises en ordre avec l’aide de la Russie avec des contreparties économiques.
    Quoi qu’il en soit, l’Ukraine est en faillite totale et les « menaces » de l’occident ne changeront rien au sort des habitants, qui restera misérable.

    Répondre
  • JR

    3 mars 2014

    M. Gave,

    J’ai plutôt tendance à trouver vos points de vue originaux, argumenté et à vous rejoindre sur vos conclusions : je lis chacun de vos articles avec délectation.

    Néanmoins, sur cet article là, je dois avouer mon incompréhension. J’ai du mal à voir le parallèle entre la « manif’ pour tous » et les évènements en Ukraine.

    Alors, j’admets être peut-être mal informé mais je n’ai pas vu dans la « manif’ pour tous » un mouvement pro-liberté, contre la corruption etc… je dois avouer y avoir plutôt vu un mouvement réactionnaire visant à se recroqueviller sur une notion de famille traditionnelle.

    Au contraire, j’ai vu de la part des homosexuels, dans leur revendication d’un « mariage gay », une aspiration à la liberté (plus qu’à l’égalité d’ailleurs), la liberté de se marier avec la personne qui partage leur vie tout simplement. Sur quelle base leur refuser cette liberté ?

    Répondre
    • artiste

      3 mars 2014

      JR si il ne s’agit que de liberté dans le mariage gay alors pourquoi ne pas autoriser la polygamie ce qui arrangerait sans doute nos divers présidents qui la pratique sans vergogne,de plus étant pour l’égalité il convient de réclamer le droit à l’avortement pour les gays.

    • JR

      3 mars 2014

      Je ne vois pas le rapport entre 2 êtres qui s’aiment (quelque soit leur sexe) et qui souhaitent concrétiser leur union par un mariage et la polygamie ?

    • artiste

      3 mars 2014

      Pourquoi se limiter à 2 êtres qui s’aiment, c’est très réducteur

    • ph11

      4 mars 2014

      Les relations de personnes consentantes, sont-ce seulement vos oignons ?

    • Josick Croyal

      3 mars 2014

      « je dois avouer y avoir plutôt vu un mouvement réactionnaire visant à se recroqueviller sur une notion de famille traditionnelle. »

      Il y a une semaine, vous m’auriez demandé mon avis, je n’aurai rien eu à dire… Mais là depuis quelques jours je réfléchis sur la nature du lien conJUGal (noter la présence du JUG pour JOUG) et commence à comprendre le rôle de la famille… et le sens du mariage.

      A mon sens, il s’agit de l’acceptation de la destruction de deux individualités (tout comme deux taureaux que l’on castre pour mettre sous le joug et méthodiquement retourner -détruire- la sacro-sainte prairie, donc au sens de la destruction-créatrice de Shumpeter) pour ouvrir un nouveau champ, nouvel espace de liberté, et y semer des graines -enfants- pouvant alors y prospérer…
      Doit-on déduire qu’une progéniture qui n’a pas d’avenir est simplement le fait de parents qui n’ont pas été vraiment expérimenté la vie sous le joug, l’indispensable travail de labour (par exemple la période des fiançailles jusqu’au mariage, période voulue autrefois sans sexe).

      Dans l’esprit, il me semble que le mariage est l’appareillage (on rend pareil) de ce qui est vraiment différent, à savoir, un homme et une femme. Mais cette conception n’est valable que dans l’esprit d’une société de nature agricole, société de production.

      Il me semble que ce qui se développe est une société de nature pastorale, on vit dans le plaisir de l’instant et l’on a la haine de l’esprit de production.

      Il faut donc voir dans quel monde l’on se place, quel monde l’on veut faire prospérer.

    • Josick Croyal

      5 mars 2014

      Encourager le sexe tout azimut est bien là politique des ânes… car l’énergie que l’on met dans ce domaine, on ne l’a met alors pas ailleurs (notamment à innover et donc à déranger l’ordre voulu par les ânes).

    • Nicolas

      16 mars 2014

      La mauvaise monnaie chasse la bonne.

  • Poutine7

    3 mars 2014

    Merci mille fois M. Gave.

    Sauf erreur de ma part, je note une petite coquille dans votre papier.

    « Bien entendu, nous ne ferons rien ». Je crois qu’il s’agit d’une citation de Claude Cheysson.

    Cdlt

    Répondre
  • Rick la trick

    3 mars 2014

    bonjour Monsieur gave,

    à toutes fins utiles, et cela n’enlève rien à la qualité de votre billet, la phrase « bien entendu nous ne ferons rien » n’est elle pas plutôt de Claude Cheysson et prononcée en 1981 lors du « putsch » de Jaruzelski en Pologne ?

    Répondre
  • jose-miguel puentedura

    3 mars 2014

    Cher Monsieur Gave vous n’êtes pas seulement un financier,vous êtes aussi un honnête homme à tous les sens du terme.

    Répondre
  • riz

    3 mars 2014

    Bonjour,

    dans la perspective d’un embargo sur la Russie en 2014 comme représailles eu regard des événements en Ukraine , les dégâts seraient réels en comparaison de 1998 où l’économie s’était effondrée .Le poids économique de la Russie est désormais équivalent à celui de la France (la France pète plus haut que son Q parce que sa monnaie est surévaluée), ce n’était point le cas en 1998 où la Russie pesait la moitié de la France et le prix du pétrole végétait vers les 10 $ le baril versus 112 $ actuellement. La Russie demeure toujours le premier producteur de pétrole dans le monde et le principal pourvoyeur de matières premières notamment le gaz européen . Si la situation s’envenimait (bien conscient qu’avec des si on met Paris en bouteille mais les faits sont bien là et dorénavant la probabilité non nulle d’événement géopolitique majeur ,toujours les plus destructeurs pour les bourses).
    Graphiquement le brent présente un triangle symétrique puissant depuis 2012 avec donc une énergie potentielle latente explosive , donc attention il ne faudrait pas que la situation dégénère car le chartisme nous dit oui éventuellement le brent peut exploser (dans une direction ou autre) .
    Un violente remontée du pétrole sera un mauvais timing alors que la consommation des ménages s’est effondrée de 2.1% en France en janvier .

    Répondre
    • Poutine7

      4 mars 2014

      Poutine III le Tsar de toutes les Russies

      Vladimir Poutine retrouvera son siège de Président de la Fédération de Russie lundi. A cette occasion, n’en doutons-pas, la presse occidentale trouvera une fois encore une bonne occasion de se
      déchaîner contre lui. Dictateur, prédateur, leader d’une bande de siloviki1 mafieux…Les anathèmes habituels seront de rigueur et la mauvaise foi au rendez-vous.
      La mauvaise foi, oui.
      Certes Vladimir Poutine n’a rien d’un enfant de coeur. Qu’il s’agisse de mater la rébellion tchétchène, de briser l’oligarchie financière ou de défendre la position de la Russie sur la scène internationale, il démontre une détermination, une dureté et une indifférence aux pressions choquant les opinions publiques occidentales.
      Mais ce sont des traits de caractère qu’on est en droit d’attendre d’un chef d’Etat, a fortiori en contexte de crise. Et si l’élection de Vladimir Poutine a incontestablement été entachée de fraudes, il eût sans aucun doute triomphé sans elles.

      Les citoyens russes ont sciemment choisi de reconduire au Kremlin un homme que l’Occident
      abhorre. Inconscience ? Désir culturel d’être guidé par un homme fort ? Rejet de la démocratie ? Immaturité politique ? En France, où seule l’opinion des opposants au régime Medvedev-Poutine semble digne d’être entendue, ces clichés seront une fois de plus bien commodes pour expliquer l’incompréhensible au vulgum pecus.
      Les Russes, pourtant, ont fait preuve d’un solide sens politique en accordant leurs suffrages à Poutine.
      D’une part parce qu’il n’existe pas aujourd’hui en Russie d’opposition unie et crédible susceptible de représenter une alternative. Ziouganov est un stalinien pur et dur. Prokhorov un oligarque aux propositions délirantes. Jirinovsky évoquait, il y a quelques années encore un nouveau partage de la Pologne avec l’Allemagne…Quant aux libéraux, ils sont disqualifiés compte tenu du bilan des années Eltsine au cours desquelles leurs réformes ont ruiné le pays.
      Bref les Russes ont reconduit Poutine en 2011 comme les Français ont reconduit Chirac en 2002 : C’était lui ou le chaos.
      D’autre part parce que Poutine a fait – à peine – campagne en se reposant sur un atout maître : son bilan au Kremlin, celui des années 1999-2008. Une période au cours de laquelle la Russie a connu une
      croissance exceptionnelle, qui lui a permis de se classer parmi les BRICA, mais aussi d’effacer la catastrophe économique sans précédent dont elle a été victime dans les années 90.
      Afin de mieux comprendre la motivation essentielle des électeurs russes, le lecteur de cet article peut se tourner vers un ouvrage récemment paru : « La transition russe, vingt ans après ».

      Les années terribles d’abord.
      De 1991 à 1998, la Russie connaît une phase de récession auprès de laquelle la grande dépression de 1929 ou la crise grecque contemporaine s’apparentent à de simples péripéties. Au lendemain de la dissolution de l’URSS et de sa prise de pouvoir, Boris Eltsine confie les rênes du gouvernement et de l’économie russe à Egor Gaïdar. Celui-ci, fervent partisan des théories économiques ultralibérales de
      l’Ecole de Chicago, lance la fameuse « thérapie de choc » : En 500 jours il s’agit de faire passer le pays du dirigisme socialiste au capitalisme. Très vite cette réforme prend des allures de désastre.
      Dès 1992 les prix du marché sont multipliés par 26. L’inflation atteint les 2330 % en décembre de la même année. La population est saignée à blanc. Le processus de privatisation des entreprises
      n’apporte quasiment rien à l’Etat et débouche sur l’émergence d’une classe d’oligarques multimilliardaires. Mais les autorités russes, dont la survie dépend des aides du FMI et de la Banque mondiale, poursuivent dans le même sens sous la pression de ces derniers, exigeant toujours plus d’efforts.
      Le résultat est connu : Le 17 août 1998, la Russie se déclare en cessation de paiement. « Le bilan des réformes des années 90 fut la transformation de l’activité économique planifiée de l’URSS, grande entité
      inefficace, en activité économique de marché de la Russie, petite entité toute aussi inefficace », ironise Viktor Ivanter.

      La résurrection ensuite.
      Dès l’automne 1998 Evgueni Primakov, nouveau Premier ministre, va initier un certain nombre de réformes qui vont remettre le pays sur les bons rails. Pour cela il a une stratégie simple, « rétablir la verticale du pouvoir », formule régulièrement attribuée à tort à Vladimir Poutine.
      Il reprend sans ménagements le contrôle des différents sujets de la Fédération de Russie, mettant au pas les gouverneurs locaux qui depuis une demi-douzaine d’années se comportaient comme des
      potentats. Les fiefs brisés, les marchandises circulent de nouveau d’une région à l’autre de la Russie, permettant à la population d’avoir de nouveau accès à une plus grande variété de marchandises et
      aux entreprises de reprendre un négoce actif. L’impôt, confisqué par les autorités locales, est de nouveau redirigé vers les services du pouvoir central. Ce dernier, disposant à nouveau des ressources fiscales, peut progressivement rétablir l’ordre dans le pays, lancer les investissements dans les secteurs qui en ont le plus besoin.
      Primakov double cette mise au pas d’une politique protectionniste couplée à une dévaluation du rouble. De la sorte, les industries russes, quasi-anéanties, bénéficient d’une protection vis-à-vis de la concurrence étrangère qui leur permet de se redresser sur leur marché domestique, tout en disposant d’un nouvel atout à l’export compte tenu de la faiblesse du rouble. Primakov, enfin, lance l’idée des Goskorporatsiï, ces grandes corporations d’Etat regroupant les principales entreprises d’un
      même secteur au sein d’une holding publique.
      Dévaluation, protectionnisme, intervention massive de l’Etat dans l’économie : il n’en faut pas plus pour que les libéraux, qui ont poussé la Russie dans le mur, prédisent une nouvelle catastrophe devant cette rupture du dogme. Le FMI, qui n’a eu de cesse de réclamer toujours plus de réformes au pays alors que celui-ci était déjà ruiné, prophétise l’hyperinflation, un nouveau krach, un recul du PIB de 7%. Mais très vite la Russie renoue avec une croissance robuste de 5%9. Une erreur de 12
      points dont devraient se rappeler tous les libéraux stigmatisant aujourd’hui en Europe les recettes qui ont si bien réussi aux Russes…
      Chassé du pouvoir en mai 1999 pour de strictes raisons politiciennes par un Eltsine à bout de souffle, Primakov transmet donc à Poutine, après le rapide intermède du fade Stepachine, un pays prêt au redémarrage.
      Poutine, officier du KGB, n’est pas plus un économiste que ne l’était Primakov. Mais l’un comme l’autre ont un sens aigu de l’Etat. Tous deux ont été formés aux deux écoles, la diplomatie et les services de renseignement, qui étaient les plus susceptibles de donner aux citoyens soviétiques une vraie ouverture sur le monde, une connaissance approfondie des rapports de force et de l’intérêt de la Russie dans le contexte international.
      Poutine met donc ses pas dans les brisées de Primakov. Et très vite cela paie.
      Fin 2008, lorsqu’il « cède » le pouvoir à Medvedev, Poutine peut s’enorgueillir d’un bilan extrêmement flatteur. « De 1999 à 2007, le PIB du pays a augmenté de 69% (tandis que) la situation
      globale macroéconomique n’a cessé de progresser. Les finances nationales ont été assainies, l’Etat a ramené au minimum extérieure et sa dette intérieure. Le taux annuel d’inflation est passé de 20% à 9% », souligne qui plafonnait à 10 milliards de dollars en 1999, atteint les 121
      Contrairement à une idée reçue, de surcroît, la relance de l’économie russe dès les débuts du premier mandat Poutine ne s’appuie pas sur la remontée des cours du pétrole.
      Celle-ci est incontestable mais elle ne connaîtra une progression régulière, stable, qu’à compter de la fin 2002 et surtout de 2003, 2001 et 2002 marquant un recul du Brent par rapport à 2000. De surcroît, si la rente pétrolière est incontestablement un atout, elle est consacrée dans un premier temps au remboursement de la dette extérieure de la Russie, 160 milliards de dollars 12 . Les premières années de redressement économique de la Russie trouvent donc leur origine dans les investissements de l’Etat et une relance de la consommation intérieure.13
      L’effort d’investissement public restera d’ailleurs décisif dans les années à venir.
      Si la Russie a besoin d’un pétrole qui se maintienne à un niveau élevé, ce que laissent présager les prédictions d’un Christophe de Margerie ou les déclarations belliqueuses vis-à-vis de l’Iran, elle devra réinvestir une partie de cette manne dans des proportions plus élevées qu’au cours des deux premiers mandats de Poutine.
      Certes le pays, malgré le choc de la crise financière de 2008-2009 a renoué avec la croissance. Mais celle-ci doit être soutenue, pérennisée, par une métamorphose de l’économie et la société russes.
      Ces dernières ont entamé leur mutation, déjà perceptible, depuis une douzaine d’années.
      L’émergence d’une classe moyenne aisée, volontiers contestataire mais surtout très consommatrice, la relance de l’industrie automobile, de l’aéronautique, de l’armement, de l’énergie, les projets tels
      Skolkovo… sont autant d’indicateurs allant dans le bon sens.
      Ce qui démontre que les investisseurs étrangers ne fuiront pas nécessairement la Russie en raison du retour
      au pouvoir de Poutine…

      Ce n’est toutefois qu’un début.
      Il faut maintenant transformer l’essai. En finir avec le poids écrasant de la rente pétrolière en développant les secteurs agricole, industriel, manufacturier et bancaire. Transformer le pays en un Etat de droit, pratiquant un capitalisme à visage humain grâce au consensus social que permet une population connaissant sécurité économique et libertés démocratiques. Bref, faire de la Russie une vraie puissance européenne. Pour Vladimir Poutine, c’est l’occasion de réussir là où Pierre le Grand,
      Catherine II, Witte, Stolypine et les marxistes ont échoué. Une mise en perspective historique qui à première vue peut sembler ridicule, mais n’est sans doute pas si stupide.
      D’une part parce que Vladimir Poutine, monstre froid, n’en est pas moins humain et que comme tout dirigeant il se préoccupe sans doute de la trace qu’il laissera dans l’histoire de son pays.

      Les chantiers qui attendent Vladimir Poutine ne sont pas très différents de ceux auxquels étaient
      confrontés les Tsars… Ils s’appellent pauvreté, progrès du système de santé, de l’éducation, éradication de la corruption, industrialisation…
      Des progrès ont déjà été enregistrés. Mais si le second mandat de Vladimir Poutine a affiché « une véritable priorité sociale », il a aussi été marqué par un accroissement sensible de la corruption,
      corollaire quasi-inévitable d’une colossale manne pétrolière couplée à une administration et à un secteur bancaire déficients.

      On peut légitimement espérer un afflux de banques étrangères sur le marché russe, compte tenu de l’entrée de la Russie dans l’OMC, ce qui permettra la mise en place d’un véritable secteur financier performant, limitant une partie de la corruption. Mais il faudra encore stopper celle qui est pratiquée au quotidien par l’administration. Ce sera un exercice d’autant plus difficile que l’Etat, qui est allé trop loin dans la recentralisation, devra sans doute redonner une réelle autonomie aux autorités locales pour simplifier la vie économique…
      Quoi qu’il en soit, ce sont encore des décisions de l’Etat que dépendra encore le sort de la Russie dans les années à venir. Sous la houlette de Vladimir Poutine, il ne faut sans doute pas s’attendre à son désengagement, hormis dans certains secteurs économiques dont les champions russes sont déjà compétitifs sur la scène internationale. Cette situation est sévèrement critiquée par nombre
      d’experts occidentaux.

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