28 octobre, 2015

Et si on parlait de libertés pour changer?

Notre ambition originelle n’est-elle pas, après tout, d’en être l’Institut pour le présent et les générations à venir ?

Je rentre de Washington, ou j’ai eu un certain nombre de réunions avec la campagne du candidat toujours présent Rand Paul, ainsi que participe au Conseil d’administration du Competitive Enterprise Institute, « think tank » dédiée à l’économie de marche, aux libertés civiles et à un gouvernement réduit.Enfin et surtout j’ai assisté pendant 2 jours au Forum Transatlantique  de Droit – TLC- , huitième édition annuelle, organisée par George Mason University, School of Law, qui se réunit alternativement en Europe ou a Alexandria dans la proche banlieue de Washington , DC.

Cette initiative pilotée par Michael Greve, professeur de droit constitutionnel, parfaitement bi culturel, aussi  bien chez lui à Hambourg qu’à DC, reunit un groupe à taille humaine de professeurs et praticiens du droit, de représentants de  think tanks  libertariennes ou conservatrices,  et de magistrats. Ayant participé aux trois derniers colloques annuels, intervenant  vendredi sur un panel dédié  à la résolution administrative de la crise financière, j’ai pu faire inviter Herve Mariton, qui anima samedi après midi une discussion passionnante entre un  juriste de Wharton auteur d’un ouvrage à paraitre sur la Fed,  un représentant d’American Enterprise Institute, un  économiste de Open Europe Berlin, et un professeur italien de l’Université de Glasgow..Sur le thème du contrôle législatif ou judiciaire des banques centrales. Bel exemple de diversité et riche débat.

Tous les thèmes du colloque de cette année tournaient autour d’une réflexion et d’une recherche de solutions pour mettre un terme ou à tout le moins enrayer, ralentir, les dérives d’un évolution profonde et non partisane vers un état de fait ayant abandonné de nombreuses prérogatives réglementaires à des agences autonomes, disposant de larges pouvoirs sans aucun contrôle effectif de l’exécutif dont elles dépendent constitutionnellement, du législatif ou du judiciaire.Les divergences culturelles de part et d’autres furent discutées et analysées, la construction européenne ayant facilité l’émergence et la pérennité d’un système administratif complexe sans contrôle effectif parlementaire ou judiciaire.

En revanche aux Etats Unis, les périodes de résignation face à cette évolution contraire aux principes du système constitutionnel, alternent avec des poussées fébriles de contestation vigoureuse. Ce que l’on qualifie parfois de « Tea Party movement »  procède de cette résistance à une dérive constitutionnelle largement tolérée en Europe de part et d’autre de l’échiquier politique. A titre d’exemples et pour illustrer mon propos, fut étudié et contesté le contrôle  judiciaire en Allemagne de l’action administrative, y compris dans le domaine de l’imposition, calcul et modalités de recouvrement.

Aussi dans une optique non exclusivement juridique, des analyses d’impact sur des législations et réglementations récentes, Dodd Frank Act de 2010 dans la sphère bancaire et financière,   Affordable Care Act – Obamacare – pour les systèmes de santé, et de manière plus générale les réglementations multiples édictées par des agences telles EPA dans le domaine de la protection de l’environnement et de l’énergie.

Absence de contrôle législatif ou judiciaire, parfois volonté avérée et affirmée par le pouvoir présidentiel de contourner un Congrès juge insuffisamment progressiste dans ses choix, et orientations. L’opinion dominante des participants à notre colloque étant que la conjonction de ces initiatives a contribué de manière significative aux performances médiocres de l’économie américaine en terme de taux de croissance depuis la sortie de crise.

Le panel auquel j’ai participé a analysé et déploré l’absence de transparence et la rigidité souverainiste qui a conduit à une balkanisation de la réglementation et de la supervision bancaire, mouvement engagé par la Fed de Washington, dans la foulée de la faillite de Lehmann en Septembre 2008.

Le cantonnement du capital étant censé prévenir le recours au contribuable dans le cas de défaillance d’une institution bancaire majeure dans un ressort autre que celui de son pays d’origine. J’ai pour ma part fait observé que les initiatives prises dans le cadre du G20, qui devaient corriger les dérives telles qu’un leverage excessif,  sont demeurées limitées, et surtout décidées au niveau national, avec trop de divergences. Laissant largement intactes les opportunités d’arbitrage réglementaire et le « too big to fail ».

J’ai aussi relevé que la qualification d’ « institution systémique », imposée à des compagnies d’assurance par un collège d’agences gouvernementales américaines, avec des conséquences en termes de supervision et de couts de toute nature, n’a été contestée en justice qu’une seule fois, par Met Life, affaire en cours non jugée.

Sur les sujets énergétiques et de protection de l’environnement, les systèmes divergent largement, l’Europe a priori a des instruments qui assurent une plus grande cohérence et efficacité dans la prise de décision et dans la mise en œuvre, avec un contrôle a posteriori législatif ou juridictionnel limité.

La Commission peut édicter et imposer aux Etats membres, l’EPA au grand dam des progressistes verts n’a pas cette latitude et Obama tente de passer en force dans les deux dernières de son mandat, notamment dans ce que l’on appelle ici la guerre « anti –charbon »pour réduire considérablement la place de ce combustible dans la production d’énergie. Au bénéfice d’un « renouvelable » largement subventionné par le contribuable.

En revanche l’effectivité du contrôle judiciaire et la jurisprudence des « actions de groupe », augmentent les capacités de nuisance des activistes pour bloquer des initiatives qu’ils contestent, avec la menace de lourdes sanctions pécuniaires pour les contrevenants.

Une tribune dirigée par Michael Greve, organisateur du TLF , discuta les pratiques de lourdes amendes imposées principalement mais non exclusivement dans le secteur bancaire et financier, voir l’affaire BNP Paribas, et plus récemment l’amende infligée au Crédit agricole.

Un montant collecté de plus de $120 milliards en cumule à ce jour, des sanctions qui parfois sont imposées sans reconnaissance ni admission de culpabilité, des modalités de calcul totalement opaques, un partage des butins entre agences fédérales et locales, une affectation arbitraire entre pénalités et restitution, un contrôle exécutif, législatif ou même judiciaire ineffectif ou inexistant, en bref ce que l’on peut légitimement qualifier de « taxation sans représentation », une des justifications profondes de l’insurrection des colonies américaines contre le Royaume Uni en 1776.D’un autre point de vue, un tel système transactionnel souligne l’inexistence et à tout le moins l’impuissance des autorités dont ce serait la responsabilité à superviser et sanctionner les dérives d’un système bancaire.

Ou bien une nouvelle manifestation de ce capitalisme de connivence qui nuit à l’efficacité et à l’éthique de la libre entreprise et de l’économie de marché ?

La dernière discussion tenta une analyse comparée des contrôles existant ou à mettre en place sur les banques centrales. Le judiciaire et le Parlement Européen n’ont quasiment aucun contrôle sur la Banque Centrale Européenne.

Il en est de même aux Etats Unis. Un paneliste fit observer que la Fed détermine sans aucun contrôle ses propres règles comptables, y compris les méthodes de valorisation des papiers achetés dans le cadre du « quantitative easing » avec les montants colossaux. Ceci explique la demande formulée dans le cadre de son programme présidentiel par le Sénateur Rand Paul, « audit the Fed ». Mais de même sous la présidence de JC Trichet la BCE acheta dans le marché de la dette souveraine grecque à des « Hedge Funds » avec  un fort escompte pour les comptabiliser à leur quasi valeur nominale.

Ces dérives qui  toutes aboutissent a une concentration de pouvoir réglementaire et/ou de taxation à des agences gouvernementales largement irresponsables, ou qui s’abritent telles les banques centrales derrière un principe noble d’indépendance politique, aboutissent à un affaiblissement des libertés que peu de politiques ou de media contestent ou combattent.

Et la sanction judiciaire lorsqu’elle existe  est souvent trop tardive pour être réelle et dissuasive comme le fit observer un juge fédéral de la Cour fiscale Américaine.

C’est bien de nos libertés dont il s’agit.

Codicille sur un sujet connexe, depuis plusieurs mois , le Congres avait refuse de renouveler  la capacité financière de l’Exim Bank , équivalent de notre COFACE, qui finance à des taux bonifiés, des crédits acheteurs sur des importateurs de biens d’équipement largement vendus par 3 fournisseurs , GE, Boeing, et Caterpillar à des acquéreurs internationaux tels des compagnies aériennes asiatiques et du Golf. Protestation notamment des 3 compagnies américaines qui s’insurgent contre des avantages procurés par les contribuables à leurs concurrents à leur détriment.

Une coalition contre nature de US Chamber of Commerce, de AFL /CIO – syndicats américains, de GE et autres est en mesure de faire de rouvrir le débat après un lobbying intensif,  par une alliance bipartisane de parlementaires progressistes et centristes.

Crony Capitalism, quand tu nous tiens…

 

 

Auteur: Jean-Claude Gruffat

Jean Claude Gruffat est depuis Avril 2020 Managing Director chez Weild and Co, banque d’affaires indépendante présente dans plus de 20 États aux États Unis. Après une carrière dans la banque internationale chez Indosuez, puis Citigroup. Jean Claude Gruffat est le Chairman de Competitive Enterprise Institute, et un board member de Atlas Network, toutes deux think thanks libertariennes domiciliées à Washington DC. Il est également gouverneur de L’American Hospital de Paris. Titulaire d’un doctorat en droit public, et d’une maîtrise de science politique de l’Universite de Lyon, ainsi que ancien participant au Stanford Executive Program, GSB, Stanford University, CA.

3 Commentaires

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  • AgentDevlin

    29 octobre 2015

    Qu’en est -il du financement des campagnes électorales et des règles nécessaires pour arriver à une meilleure indépendance entre le secteur privé et le public? C’est bien le problème, non? La confluence entre certains groupes financiers ou industriels et le politique?
    En tant que libéral, sommes-nous pour une liberté de financer le candidat de notre choix au risque qu »il soit influencé dans la rédaction des lois? Devons-nous repenser les contre-pouvoirs nécessaires à l’indépendance du politique et de l’économique? J’aimerais connaître le point de vue de l’IDL sur ces questions…

    Répondre
    • idlibertes

      30 octobre 2015

      Nous pensons que le mode de financement actuel des partis politiques est proprement scandaleux. Que les attributions de financement soient attachés aux mandats déjà en place est Kafkaïen.
      Par ailleurs, qu’il existe également un connivence entre certaines élites (en France ou ailleurs) cela n’est plus à prouver.
      La limite de ce raisonnement en ce qui nous concerne est de penser le changement dans un cadre légal en ce que nous ne cherchons pas à renverser la table (citation extraite de « quand tu renverses la table et que le mec qui conduit n’est pas ton chauffeur… etc etc)

    • AgentDevlin

      30 octobre 2015

      Bien sûr, il ne s’agit pas de tout jeter, mais c’est une piste de réflexion intéressante pour les libéraux. Proposer des solutions législatives pour éviter ce type de conflits d’intérêts, souvent masqués du grand public.

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