6 septembre, 2018

Champions du monde !

Que l’on soit ou non amateur de football, on ne peut rester indifférent à la belle victoire de l’équipe de France. Voir un peuple célébrer ses champions de façon collective dans les rues du pays avait aussi quelque chose de réjouissant, comme le fait de sortir les drapeaux tricolores et les maillots de l’équipe nationale. Il n’y a guère plus que dans le sport que l’on peut s’avouer patriote. Mais cette victoire sportive est aussi celle de deux vertus souterraines qui n’ont pas toujours droit à l’espace public : l’effort et le don de soi.

 

Champion par le travail et par la sélection

 

Souvenons-nous de ce début d’été 2018. Les réseaux sociaux pestaient contre la nouvelle mouture d’APB (Admission post-bac), renommé Parcoursup, au motif que celle-ci introduit de la sélection à l’entrée de l’université. Ce qui n’est pas tout à fait vrai d’ailleurs. De même, beaucoup de parents et d’élèves se réjouissaient, souvent de façon légitime, de la réussite au baccalauréat, dont on peut dire qu’il n’est plus trop une épreuve de travail et de sélection. Ainsi, on a pu en même temps célébrer la victoire de vingt-deux joueurs, qui ont gagné par leurs efforts et leur abnégation, et refuser ce travail et cette abnégation dans deux secteurs où ils devraient être valorisés : l’éducation secondaire et supérieure. Imaginons que Didier Deschamps ait géré l’équipe de France selon les méthodes préconisées par l’Éducation nationale, il est certain que nous n’aurions jamais été champions du monde. Le joueur devrait découvrir le football par lui-même et l’entraineur ne devrait surtout pas lui transmettre l’art de la stratégie et de la technique footballistique. Tout le monde devrait pouvoir jouer en première division et, bien sûr, en équipe de France. Il ne devrait y avoir aucune sélection à l’entrée des clubs et, pour respecter l’égalitarisme footballistique, c’est par tirage au sort que devrait s’effectuer la sélection en équipe nationale.

 

L’histoire d’Antoine Griezmann est à cet égard instructive. À 14 ans il a quitté son domicile familial de Mâcon afin de rejoindre un centre d’entrainement en Espagne, à la Real Sociedad. Son désir de devenir un grand joueur de football lui a fait faire des sacrifices majeurs, assortis de travail, de souffrance, d’échecs et de réussites. Au même moment, c’est tout l’inverse que l’on apprenait à ses camarades restés au collège de Mâcon : collège unique, passage presque automatique en lycée, refus de la sélection à l’université. Puisque l’on se félicite à juste titre d’avoir gagné cette coupe, pourquoi ne pas appliquer à l’éducation les méthodes du sport : travail, rigueur, dépassement de soi, respect de l’encadrement ? Les chemins de l’égalitarisme empruntés depuis si longtemps par l’institution scolaire ne peuvent mener qu’à des défaites.

 

Les défaites universitaires

 

Cela est encore plus vrai dans le supérieur, et notamment à l’université. On peut ainsi souhaiter bon courage aux étudiants qui vont dans quelques jours faire leur entrer en L1 et dont les statistiques nous disent que 70% d’entre eux vont échouer au cours de cette année. Pourquoi continuer de mentir à ces jeunes en leur faisant croire qu’ils peuvent réussir alors qu’ils n’ont pas les moyens intellectuels et la force de travail nécessaire à une réussite dans ces domaines-là ? La réussite leur est possible ailleurs. Le problème, c’est qu’une défaite en coupe du monde de football n’a pas beaucoup de conséquences, sinon du désarroi chez les supporters, alors que les défaites répétées dans le domaine des études finissent par avoir de graves conséquences sur l’avenir du pays. Dans de très nombreux secteurs, les professeurs, mais aussi les étudiants, se plaignent d’une formation de moindre qualité. Des écoles renommées délivrent parfois des cours indigents ou fumeux qui sont bien loin de répondre aux défis d’un monde qui ne cesse d’avancer.

 

On accepte d’avoir une élite en football ; on refuse la formation de cette élite en médecine, en droit, en économie, etc. Combien d’étudiants en master ne connaissent pas grand-chose, ce qui n’est pas forcément de leur faute. Combien de chefs d’entreprise se plaignent de ne pas pouvoir recruter les salariés dont ils ont besoin, faute d’une bonne formation des étudiants ?

 

Au-delà d’une joie passagère sur les Champs-Élysées, la vraie victoire serait de prendre enfin conscience de l’importance de bien former les jeunes Français, du primaire au supérieur, d’accepter de former une élite, dans tous les domaines, intellectuels et techniques. Bref de faire en éducation ce que l’on fait dans le sport.

 

Le travail caché des bénévoles

 

L’autre vertu montrée par cette victoire est celle du don de soi à travers le bénévolat. La victoire de cette équipe de France est aussi celle de tous les bénévoles qui consacrent gratuitement du temps au service de la jeunesse et de leur passion sportive. Le jeune Griezmann a commencé sa route sportive à six ans à l’Entente Charnay et Mâcon 71, devenue ensuite l’UF mâconnais. On imagine la joie des entraîneurs et des membres du club lors de la victoire de leur champion, comme de tous les autres clubs de France où sont passés les joueurs vainqueurs. Quiconque a fréquenté, enfant ou adolescent, ces clubs de proximité en connaît l’ambiance et sait ce qu’il doit aux équipes d’encadrement. Pour ma part c’était en rugby, mais c’est souvent le même esprit qui règne dans les autres sports : judo, natation, basket, tennis… Des gens passionnés, qui travaillent la semaine et qui consacrent leur soirée et une partie de leurs week-ends à l’encadrement et à la formation des jeunes. Les clubs sont souvent une histoire de famille. Il n’est pas rare que l’on encourage les parents des licenciés à s’y investir pour donner un coup de main, tenir une brocante qui financera l’achat des maillots, encadrer un déplacement.

 

Pour les jeunes qui sont dans des situations familiales compliquées, ils y trouvent une partie de l’affection et de l’encadrement qu’ils n’ont pas chez eux. « École de rugby, école de la vie », est le credo de l’ensemble de ces écoles qui encadrent et entrainent des jeunes de 6 à 14 ans. Apprentissage de la compétition, de l’effort, de la vie en groupe, du respect des différences de chacun, bref de tout un ensemble de choses indispensables que l’école se refuse à fournir.

 

En ce début septembre, ils sont des milliers de bénévoles, parents, retraités ou jeunes adultes, à reprendre le chemin des stades et des terrains de sport. Des hommes de l’ombre qui font un travail essentiel pour la formation et l’éducation de la jeunesse. Des millions de jeunes, aujourd’hui adultes, leur doivent beaucoup. C’est une des raisons de la joie collective du 15 juillet dernier. Quel que soit leur sport, ces milliers de bénévoles savent que la victoire de l’équipe de France de football leur est en partie due. Dans toutes les communes, villes et villages, il y a ces stades et ces clubs de sport, ces pelouses et ces salles où se transmettent les valeurs fondamentales de la vie en société et les réflexes et les gestes qui forment les hommes et les femmes.

 

Tant qu’il y aura ces bénévoles, notre pays aura un grand avenir. Ce bénévolat témoigne de la générosité de beaucoup, de leur abnégation, de leur sens du service. Il montre aussi que l’éducation ne passe pas uniquement par l’école d’État, mais aussi par de nombreuses autres structures qui font un travail de l’ombre extrêmement important. J’ai parlé du sport ; il faut y ajouter les clubs culturels (conservatoire, dessin, théâtre…) et le scoutisme. Ces milliers de personnes font un travail doublement gratuit : d’une part parce qu’ils ne sont pas rémunérés pour cela, d’autre part parce qu’ils ne voient pas les fruits de leur travail : une fois que le jeune a quitté le club ils ne voient pas à quel point ce qui lui a été transmis lui sert devenu adulte. Alors, si par hasard des membres du rugby club Montesson venaient à lire ces lignes de l’Institut des Libertés, qu’ils soient chaleureusement remerciés pour ce qu’ils ont accomplis.

 

C’est donc la rentrée aussi pour ces clubs et ces bénévoles qui contribuent à tisser le maillage social et sportif du territoire français. Leur action est indispensable à la bonne marche du pays et au lien social des populations. Ils sont le filet invisible du lien humain. Et comme après chaque grande victoire, ils reprendront le chemin des entrainements en espérant avoir, parmi les jeunes qui leur sont confiés cette année, un futur Antoine Griezmann dans leur sport respectif.

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

11 Commentaires

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  • Steve

    6 septembre 2018

    Bonsoir.
    Il me semble que trois questions ne sont pas adressées clairement:
    – la sélection à l’entrée, par préjugé idéologique du régime, et qui se pratique donc hypocritement par l’échec comme l’a bien précisé JB Noé
    – Les moyens et l’organisation comme l’a précisé Charles Heyd
    – la connaissance que les bacheliers ont d’eux-même et donc l’adéquation entre leurs qualités et celles demandées par la profession à la quelle ils veulent se former.
    j’ai pratiqué l’université française, (il y a longtemps) puis le système anglais; l’organisation britannique témoignait d’une volonté de tout faire pour que l’étudiant réussisse; le tutorat, assuré par les étudiants avancés, le contact facile avec les professeurs avec lesquels il était aisé de converser dans leur bureau personnel autour d’une tasse de thé, individuellement ou à plusieurs, donnait le sentiment d’être soutenu et accompagné.Cela ne nécessitait pas de gros moyens financiers, juste un état d’esprit différent. Ce n’était absolument pas le cas en fac. à Paris, dans les années 70.
    A la base,je crois que le problème est politique, borné au départ par la névrose, (limite psychose) égalitariste qui affecte le peuple français et détruit toute possibilité d’une véritable égalité des chances pour tous et ensuite le chacun pour soi et démerdez-vous.
    Ce qui n’est pas le cas dans les formations militaires qui savent d’expérience que le travail en équipe conditionne la survie de tous et de chacun.
    Il me semble que nommer un ancien directeur de St Cyr ou de Navale au poste de Ministre de l’enseignement supérieur, avec pleins pouvoirs , ferait faire un bon en avant qualitatif à tout le système sans augmenter monstrueusement les moyens financiers qui font de toute manière désormais défaut.

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  • jimmie19

    6 septembre 2018

    Tout à fait d’accord sur votre analyse concernant le niveau insuffisant de beaucoup d’étudiants.
    Peut-être pourrait-on pousser un peu plus l’étude des conséquences : ceux que j’ai connus sortant avec un master ou autre avaient en général un très bon niveau.
    Par contre j’ai connu beaucoup d’étudiants qui, après deux première année ratées en médecine, droit ou autre s’inscrivaient dans une autre fac pour échouer à nouveau, et souvent rebelote si papa maman pouvaient payer le loyer et les frais. A plusieurs dizaines de milliers d’euros par année de fac à la charge du contribuable, combien de milliards gaspillés à désespérer des jeunes qui se retrouvent en échec après avoir cru faire de « bonnes études ».
    Le but de la sélection devrait être de sortir de cette culture de l’échec.

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  • David

    6 septembre 2018

    Considérez vous que l’enseignement délivré dans nos universités soit de bonne qualité ?

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  • bibi

    6 septembre 2018

    Le nombre de joueurs en sélection pour les compétitions internationales est passé à 23 lors de la coupe du monde 2002.

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  • Brsp

    6 septembre 2018

    Bonjour Mr Noé ,
    Merci d’avoir souligné la valeur travail qui s’oublie dans notre pays …
    Cependant , la formation des médecins est trés sélective et élitiste , seuls 10-15 % des etudiants passent la 1ère année et je ne vous parle pas du concours de l’internat conduisant aux spécialités (je sais de quoi je parle … ) . Cette sélection que je reconnais comme nécessaire (même si imparfaite ) va prochainement être remise en cause .
    Excellente journée

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  • David

    6 septembre 2018

    Comment selon vous faudrait il enseigner le droit ? Par l’apprentissage par coeur comme une grande partie des enseignements en France ou par la réflexion et le maniement de bases juridiques comme dans les universités anglo-saxonne ou encore Suisse ?

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    • idlibertes

      6 septembre 2018

      Le maniement comme vous dites impliquerait des petits groupes de travail, or encore une fois, nous retombons sur la bêtise du refus de sélection qui donne des amphi archi bondé jusqu’en maitrise, moment ou l’on peut commencer à travailler sérieusement en Droit (Pardon, Master 1)

    • David

      6 septembre 2018

      Même en Master cela est difficile, il y a 150 étudiants en M1 droit des affaires dans mon université à Strasbourg.

    • Jean-Baptiste Noé

      6 septembre 2018

      L’université est effectivement très sélective. C’est la sélection par l’échec et par l’écrémage drastique des étudiants que l’on a refusé de sélectionner pour la L1. Ceux qui arrivent en master ont survécu à tout ce processus. Il serait plus honnête de faire une sélection claire et franche plutôt que biaisée.

    • Charles Heyd

      6 septembre 2018

      je vois plusieurs contradictions, incohérences et surtout insuffisances dans les différentes réponses:
      – ce n’est pas parce qu’il y a 150 étudiants dans un amphi que le travail en groupe (en travaux dirigés pratiques) est impossible; il faut pour cela avoir plus de maîtres assistants pour justement encadrer ces groupes issus la répartition de l’amphi! Combien d’élèves sur les gradins des amphis de Harvard par exemple et les résultats à la sortie! Bref, on en revient aux fameux « moyens »!
      – ne sélectionner que 10 à 15% des étudiants en fin de 1ere année de médecine ne choque personne si trop de jeunes s’orientent vers cette filière et que le nombre de médecins dans nos villes et surtout dans nos campagnes est suffisant; mais pourquoi une attente de 6 mois (minimum) pour une consultation d’ophtalmo (à Brest par exemple)? Il y a trop d’ophtalmos?
      Et pourquoi tous ces médecins africains ou roumains (il y a trop de médecins au Niger ou au Nigéria?) dans nos hôpitaux et cliniques et une surpopulation de médecins spécialisés ou généralistes sur la Côte d’Azur avec l’explosion des actes en conséquence?
      Dans les écoles militaires, dont je suis issu, les promos sont ajustées aux besoins prévisibles à la sortie; je n’ai jamais vu quelqu’un dire qu’il y a trop ou pas assez d’officiers par exemple sauf évidemment lorsqu’on passe brutalement d’un situation de guerre à une période ou le format de l’armée doit être réduit (après la seconde guerre mondiale ou à la fin de la guerre d’Algérie par exemple);
      Bref, pour une population médicale (médecins, kinés) quasi fonctionnarisée mais avec peu de contraintes notamment sur leur implantation géographique et leur rémunération, le problème de la sélection à l’entrée de l’université est vue du mauvais côté de la lorgnette!

  • Steve

    6 septembre 2018

    Bonjour M. Noé
    Belle ode aux bénévoles! Merci.

    PS: Pour les jeunes ambitionnant de faire carrière dans la politique, on les orientera plutôt vers les clubs de natation tant il est vrai qu’un bon politique doit impérativement savoir nager en eaux troubles sans se mouiller.

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